dimanche 23 mars 2014

Prix du Goéland Masqué 2014 : les 3 finalistes


Le jury du prix littéraire du Goéland Masqué 2014
a retenu trois ouvrages en finale.
Les voici, présentés dans un ordre aléatoire.


« Un homme effacé » d'Alexandre Postel, éd. Gallimard 



          Damien North est professeur de philosophie, veuf inconsolable et, soyons francs, une bille absolue en informatique. C’est dire sa stupéfaction lorsque débarque, à potron-minet, la maréchaussée en personne, forte d’une accusation  de détention d’images pédo-pornographiques. L’ordinateur, siège de ces turpitudes, est saisi, et le professeur North embastillé.
Le sujet est brûlant, polémique, mais ce n’est pas cela qui intéresse Alexandre Postel. D’ailleurs, l’innocence du professeur est donnée pour acquise dès le départ. Non, ce qui alimente ce court roman, ce sont les ravages de la rumeur. North est innocent, mais il a été accusé. Et comme il n’y a pas de fumée sans feu, dès lors, chacun de ses gestes va être analysé par son entourage à la lumière (ou à l’ombre) de ce doute. Ce n’est pas un procès à scandale, ni la dénonciation d’un crime, c’est la dissection implacable d’une machine qui s’emballe, d’une société qui se substitue à la justice et s’emploie, en toute bonne conscience, à broyer un innocent. La philosophie est suspecte, la pensée inutile, l’écriture vaine. Celle d’Alexandre Postel, précise, inspirée et souvent lumineuse, dresse un tableau terrifiant d’un solide bon sens populaire élevé au rang de valeur morale et dispersé à tous les vents par la folie du web.

Catherine Le Ferrand


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« L'or de Quipapá » de Hubert Tézenas, éd. L'écailler



         Ça sent la corruption et la bagasse dans la fournaise de cet automne 1987 au Pernambouc. Alberico Cruz, agent immobilier à Recife, se trouve accusé à tort du meurtre de Policarpo, président du syndicat des travailleurs de Quipapà. Aidé du journaliste Osvaldo Lamenza, il va découvrir que violence et mise en esclavage sont de règle dans le monde des seigneurs de la canne, encouragés par la politique d’indépendance énergétique du pays basée sur la production de ce carburant dit écologique, le bioéthanol.
La sobriété de l’écriture de Hubert Tézenas sert une histoire bien structurée, avec des personnages crédibles et une fin qui ne donne pas dans l’angélisme.
La narration au présent de l’indicatif, dans de courts chapitres, se fait à la troisième personne pour accompagner A. Cruz dans son enquête, et à la première personne pour témoigner de la folie de Kelbian Carvalho, fils d’un riche planteur.

Marie Pen’Du
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« Le dernier lapon » d'Olivier Truc, éd. Métailié Noir

 


« Lorsque Klemet releva la tête, Aslak avait disparu dans la nuit polaire ».
C'est par cette terrible phrase que se termine ce livre dont le héros, Aslak, est ce dernier Lapon désigné dans le titre. Il va donc disparaître, et avec lui, tout un peuple... !

Adeptes d'un culte animiste, les Lapons sont avant tout, d'un point de vue économique, des éleveurs de rennes.
Or, ils vont être en butte à des étrangers qui ne sont pas animés des meilleures intentions du monde : dès le XVIIe siècle, débarquent des protestants violemment prosélytes ; puis, au XXe siècle des entreprises ou des individus que met en appétit le sous – sol lapon. D'abord une société chilienne, Mino Solo, jusqu'en 1983, et, en 2011, un géologue français, un certain Racagnal est de retour – c'est un ancien employé de la société chilienne.
C'est sur ce personnage que l'action va se focaliser : à lui seul, il va figurer l'horreur d'une intrusion violente et destructrice, celle d'un maître qui prétend avoir autorité sur tout. Sur les entrailles d'une Laponie dont le sous – sol regorge d'uranium, sur celles aussi d'une jeune fille, Aila, qu'il a violée en 1983 alors qu'elle n'avait que 15 ans. Quelques années plus tard, Aila devient la femme d'Aslak qui, jusqu'à la fin, va veiller sur elle «  comme un saint ».

Terrible analogie – entre cette appropriation et ce viol, entre ce sous – sol et cette matrice – qui permet de rendre sensible l'horreur que représentent cette colonisation et cette acculturation.
Très beau premier  roman dans lequel l'auteur incarne les abominations que des êtres humains font subir à d'autres êtres humains, leurs alter ego..., jusqu'à  faire disparaître  ces derniers.

Xavier Bazin

1 commentaire :

  1. L'or de Quipapa déchaînerai-il les passions ? Voici un nouveau point de vue (pas très différent de celui de Marie Pen'Du).

    A ma droite, la dynastie Carvalho, oligarques de père en fils, planteurs de canne et grenouilles de cabinets ministériels. A ma gauche, Alberico Cruz, agent immobilier, témoin de ce qu’il n’aurait jamais dû voir. Inutile de préciser que la partie est quelque peu inégale. Mais Cruz n’a pas le choix. Au cœur du problème, il s’agit de sauver sa peau.
    Le Brésil d’Hubert Tézenas est très loin de la samba et du Christ rédempteur. C’est celui de la peur, des violences policières, du pouvoir absolu de l’argent et du partage en règle du pays entre politique, finance et médias. Qui l’emportera ? La timbale en argent ou le gobelet jetable ?
    Hubert Tézenas évite avec adresse les pièges du manichéisme et des poncifs tropicaux. La tension est haletante dans cette chasse à l’homme où tous les risques sont permis.
    La narration par la voix du fils à Papa jette le lecteur dans l’urgence d’une vie au présent, sans réflexion, sans remords ni regrets. Pas d’angélisme, aucune complaisance, un portrait ordinaire de la violence quotidienne avec laquelle il faut bien vivre.

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